Un ninja (忍者) ou shinobi (忍び) était un guerrier-espion dans le Japon médiéval. Le terme utilisé pour désigner une femme ninja est
kunoichi (くノ一).
Dans l'imaginaire des Occidentaux et même des Japonais, image d'ailleurs largement colportée par les films, bandes dessinées... on représente les ninjas comme des guerriers vêtus de noir, une cagoule masquant leur visage, accomplissant des exploits physiques en combat, des acrobaties, et experts dans les techniques de dissimulation, d'empoisonnement, et même versés dans les arts magiques...
Cette image fantasmatique, et le terme même de ninja, sont relativement récent (vers 1780). Les termes utilisés pour désigner ces guerriers-espions étaient plutôt shinobi ou shinobu, parfois rappa, seppa ou kagimono-hiki, ou encore kusa (les herbes, une des techniques consistant à attendre tapis dans l'herbe et à attaquer les troupes de dos après leur passage). En raison de leur origine géographique probable, les ninja sont aussi parfois nommés « homme d'Iga » (Iga no mono) ou « homme de Koga » (koga no mono), ou encore « troupe d'Iga » ou « de Koga » (Iga shu, Koga shu).
Les ninja étaient en effet probablement issus de ces deux provinces voisines situées à côté de Kyoto. Ces provinces étant indépendantes, ils n'étaient redevables d'aucune taxe et jouissaient d'une liberté de mouvement que n'avaient pas les bushi (ou samourais), qui étaient eux inféodés aux daimyō (seigneur féodal) ; ils n'étaient pas non plus soumis au bushidō (code de l'honneur du bushi), et pouvaient donc pratiquer des techniques de guerre non-orthodoxe (espionnage, guérilla, embuscades, assassinats). N'étant pas liés aux grandes familles, celles-ci les utilisaient pour leurs basses besognes (pillages, assassinats). Une de leurs grandes spécialités était de s'introduire de nuit dans les châteaux et camps militaires et d'allumer un incendie, afin de faciliter l'assaut par des troupes classiques ; ils se déguisaient en général pour porter la même tenue que leurs victimes (exit donc la tenue noire) afin de semer la confusion.
Par ailleurs, les familles nobles commencèrent à faire appels à des mercenaires (sans doute des ninjas) lors de la période Kamakura (1185-1333), période marquée par de nombreux conflits entres familles et assassinats. Ces pratiques, même si elles ne correspondaient pas au « canon » du bushido, ont donc très tôt été utilisées par le pouvoir et les seigneurs féodaux. Malgré leur efficacité indéniable, la peur qu'ils inspiraient faisait qu'aux yeux du grand public, ils étaient considérés comme non-humain, en dehors de l'échelle sociale, pire encore que la caste burakumin.
Le ninpō, doctrine des ninjasLe terme ninpô (忍法), ou shinobu hô, désigne la doctrine des ninjas. Elle met l'accent sur l'endurance, la persévérance, la capacité d'adaptation. Ceci comprend donc bien sûr les techniques de combat et de survie dans la nature (dont le camouflage et les soins médicaux), d'endurcissement du corps et de l'esprit, mais aussi la capacité à prévoir le danger et à l'éviter. De fait, le ninja doit être capable de mimétisme, il doit pouvoir faire preuve d'adaptabilité (souplesse mentale) et ne pas s'attacher à des formes fixes et rigides. Contrairement au bushi, le ninja ne cherche pas l'affrontement direct, il ne cherche pas à montrer son courage, mais plutôt à survivre et à mener à bien sa mission, sans ressentir de honte ni de colère. Le ninja cherche d'abord à se protéger et à protéger sa famille. Par ailleurs, on peut aussi se référer au traité de stratégie chinois L'Art de la guerre de Sun Zi (prononcer Souen Tseu) [1], qui développe les techniques d'information et de désinformation dans le cadre de la guerre :
* se renseigner sur l'ennemi (« Qui connaît l'autre et se connaît, en cent combats ne sera point défait », chap. III),
* désinformer l'ennemi
* repérer les espions ennemis et les soudoyer.
Une des premières phrases de ce traité de guerre est d'ailleurs « La guerre repose sur le mensonge ». Il recommande principalement de faire usage de la ruse pour éviter le combat. Ce type de comportement était donc recommandé depuis dix siècles avant la première mention historique des ninjas.
Le ninja était furtif et secret ; il savait se déguiser pour se faire passer pour quelqu'un d'une autre classe sociale ou d'une autre région. L'enseignement des ces techniques dans des écoles (ryu) ne se faisait pas en groupe comme pour les bujutsu (technique des samourais), mais plutôt seul à seul, à des individus uniques.
Le ninjutsu, les techniques des ninjasLe terme ninjutsu (忍術), ou shinobi jutsu, désigne l'ensemble des techniques des ninjas, suivant les principes du ninpô. Cela comprend bien entendu des techniques de combat, et notamment l'utilisation détournée d'armes classiques, le combat à mains nues, mais aussi des techniques de camouflage (hensô jutsu, doton no jutsu), d'utilisation d'explosifs, de poisons, la prestidigitation (gen jutsu), la natation, l'équitation...
Mais le ninjutsu comporte aussi des connaissances en météorologie, astrologie, médecine et mathématiques. Ainsi, certains ninjas ont conçu des digues ou exploitaient des mines, ils étaient ce que l'on appellerait maintenant des «ingénieurs ».
Équipement spécifiqueLes ninjas utilisaient des armes et du matériel spécifiques :
* jutte : sorte de dague non tranchante et non perforante munie d'une garde courbée vers l'avant (à la différence du saï, il n'y a qu'une branche à la garde), servant à bloquer les sabres ;
* kaginawa : grappin ;
* kamayari : lance à crochet ;
* kusarigama : faucille reliée à une chaîne ;
* metsubushi : fumée, en général produite par un mélange de poudre placé dans un œuf évidé, et servant à aveugler l'adversaire ;
* mizu gumo : chaussures flottantes munies de vessies gonflées et permettant de se tenir debout sur l'eau, pour espionner ou se défendre ;
* Ninjatô : sabre ;
otzu tsu : arme à feu, sorte de mortier fait dans un tronc évidé ;
* sokko : griffes de pieds, situées sous la semelle, servant à l'escalade, à marcher sur un terrain glissant ou bien comme arme ;
* tegaki ou shuko : sorte de griffes portées sur la paume, servant à escalader, à frapper ou bien pour bloquer les sabres.
* Kunaï : Sorte de dard métalique ;
* Shuriken : étoile métalique tranchante pouvant avoir plusieurs formes différentes.(trois, quatre branches, carrées, ronds...)
* Makibisi ou Tetsubishi : petits clous à quatre pointes utilisés pour couvrir une fuite ; ceux-ci traversaient les sandales des poursuivants.
* Sai: Petite arme de 60 centimètres à 3 branches dont une droite et deux courbées servant autant d'arme contre les sabres que d'outil d'entrainement à la dextérité. On croit que l'arme est dérivé des lances chinoises qui portait le même type d'arme comme pointe. Son origine reste très nébuleuse.
* Jo : Bâton de 4 pieds et d'environ 1 pouce et demi de diamètre. Servant autrefois de canne, il devint une arme redoutable que même les vieillards pouvaient manier très efficacement
Histoire des ninjasLes ninjas étaient a priori à l'origine de troupes formées entre le VIIIe et le IXesiècle, d'émigrés coréens, chinois, et de bushi vaincus sans seigneurs (ronin), qui se sont réfugiés dans les provinces d'Iga et de Kôga (maintenant les préfectures de Mie et de Shiga, du côté du lac Biwa). Ayant en commun le déracinement et la défaite, ils développèrent des techniques de survie dans ces contrées sauvages, ainsi que des techniques de combat pragmatiques provenant d'origines diverses (Japon, Chine, Corée). Ils subirent sans doute l'influence :
* des pirates (kaizoku) de la région de Kumano, à qui ils doivent les techniques d'utilisation des grappins,
* des yamabushi, ascètes vivant dans la montagne et adeptes du shugendō (pratiques mystiques),
* des moines bouddhistes de la région, notamment des bouddhistes ésotériques shingon,
* et des hinin, personnes de basse condition sociale utilisées pour les tâches jugées impures, notamment en relation avec le sang et le cuir.
À cette époque, Makibi Kibi, ambassadeur japonais en Chine, amena au Japon les doctrines militaire chinoises, dont L'Art de la guerre de Sun Tzu (appelé Son Shi au Japon).
L'établissement dans ces contrées sauvages et entourées de montagnes, donc sans grand intérêt économique et protégé des invasions des seigneurs voisins, a sans doute contribué à développer un esprit d'indépendance, et notamment l'absence d'attachement à un seigneur et aucune réticence morale à se retourner contre d'anciens alliés. Cela a aussi contribué au secret et donc à l'aura de mystère qui les entoure.
Parmi les probables fondateurs du ninjutsu, on compte le général chinois Ikai qui s'exila à Iga au milieu du XIe siècle et ramena des techniques de combat.
Les ninjas étaient sans doute à l'origine des troupes de guerriers similaires à des milices civiles (jizamurai) dont le but était la défense de la province ; ils n'étaient probablement pas uniquement des guerriers mais exerçaient un autre métier (paysan). Il est difficile de donner une date exacte de l'apparition des ninjas, il s'agit sans doute d'une évolution progressive. Le premier recours documenté daté de l'utilisation des ces troupes d'Iga et de Kôga (les Iga shû et les Kôga shû) est sans doute l'attaque du château du seigneur Rokkaku à Magari par le seigneur Ashikaga vers 1487. Ieyasu Tokugawa, qui fut daimyō (seigneur féodal) puis shogun (dictateur militaire du Japon) au XVIe siècle eut fréquemment recours à ces mercenaires. Mais les ninjas étaient aussi parfois des guerriers inféodés à leur seigneur et n'ayant aucun rapport avec Iga et Kôga, comme par exemple ceux utilisés par Shingen Takeda à la même période.
L'événement le plus important fut sans doute la sanglante soumission de la province d'Iga par les troupes de Nobunaga Oda en 1579. Nobunaga était le régent (bien qu'il ne fut pas nommé shogun par l'empereur), et l'indépendance d'Iga représentait un défi à son autorité. Les deux premières tentatives de soumission se soldèrent par un échec. Pour la troisième, il envahit la province avec six armées venant de six endroits différents. Devant le nombre écrasant d'adversaires, les techniques de guérilla se révélèrent insuffisantes et les familles d'Iga furent massacrées. Quelques survivants allèrent se réfugier chez les daimyō voisins (dont Ieyasu Tokugawa) et se mirent à leur service.
À partir de là, certains ninjas, nommés onmitsu, furent utilisés par le shogun pour espionner les daimyo, et d'autres, les oniwaban, étaient utilisés pour assurer la sécurité rapprochée du shogun et la surveillance de son château, ainsi que dans une certaine mesure la police dans la capitale Edo. En effet, la période Edo se caractérise par une relative paix entre les clans, les techniques de maîtrise non armées ou avec des armes non tranchantes développées par les ninjas étaient particulièrement intéressantes dans ce contexte.
Enseignement du ninjutsu de nos joursContrairement aux bujutsu qui ont subi une transformation pacificatrice du XVIIIe au XXe siècle, le ninjutsu s'est transmis de manière secrète à quelques personnes, sans que l'on sache exactement dans quel but.
Deux personnes, MM. Hatsumi et Tanemura, ont décidé de transmettre leur savoir au grand public, avec un aspect commercial évident, et une rivalité concernant l'authenticité des techniques.
Si l'enseignement s'est bien évidemment pacifié, on peut toutefois se poser la question des motivations des élèves, qui peuvent être plus fascinés par le côté « assassin » que par le côté « philosophique ». Si le problème est le même que pour les autres arts martiaux — et d'ailleurs est une problématique générale de la catharsis et du passage à l'acte — certains estiment qu'il se révèle ici plus aigu puisque les ninjas ne se prévalaient pas des valeurs morales comme ont pu le faire les samouraïs (du moins en apparence) (on remarquera toutefois que la savate est elle aussi issue des milieux criminels sans les atours philosophiques du taoïsme, sans que cela ne soulève aucune polémique).